Il ne pleut pas tout le temps. Mais entre les orages, le ciel est le plus souvent gris, les “thunderstorms” se suivent et se ressemblent, le soleil de l’été se fait désirer. Pour nous, c’est un peu comme un été breton, et nous profitons des paysages, des rencontres, des escales. Mais pour les marinas et les petites villes que nous trouvons sur notre chemin, les hautes eaux et le mauvais temps prennent une allure de catastrophe.
Entre Ottawa et le lac Ontario, le bassin de la rivière Rideau n’est qu’une petite partie de l’énorme système des Grands Lacs. La gestion du niveau des eaux de ce système est assurée par une commission ad hoc USA-Canada, qui s’efforce de faire face aux événements météo extrêmement variables d’une année sur l’autre, et aux besoins de tous les utilisateurs : commerce, production d’énergie, plaisance et loisirs, et riverains de toutes sortes. Evidemment, personne n’est jamais content, surtout quand la nature n’en fait qu’à sa tête.
Cette année, des précipitations régionales particulièrement fortes tout au long d’avril et mai ont conduit les Grands Lacs à leur plus haut niveau depuis 1996-1998. Le lac Ontario est environ 1 m plus haut que son niveau d’il y a un an à la même époque. En mai dernier, il a battu son record de hauteur d’eau pour toute la période 1918-2016 !
Pour revenir à notre terrain de jeu, la Rivière Rideau, un graphique officiel du débit moyen journalier montre à quel point la situation est exceptionnelle :
Les conséquences sont difficiles pour certains habitants : maisons les pieds dans l’eau, projets de vacances sur l’eau en panne… Et pour les économies locales, c’est une saison qui ne démarre pas, alors qu’elle est déjà très courte. Les bateaux n’ont pas encore été remis à l’eau, les marinas sont vides, il n’y a plus de visiteurs, les petites villes du bord de l’eau attendent encore les touristes et leurs dollars.
Pour nous, égoistement, tout va bien. Nous profitons d’une navigation plutôt calme et d’écluses tranquilles. Ici le maître éclusier n’hésite à recruter les gamins de passage. Là, nous croisons la South Wind Canoe Brigade, qui pagaie de Kingston à Ottawa pour les fêtes du 1er Juillet, “to highlight the spirit of reconciliation between Indigenous and non-Indigenous people for our collective future, as well as to highlight the spirit of reconciliation with the ecosystems along these waterways that support the life of all living creatures”.
Nous zigzaguons au milieu de dizaines d’iles où les maisons sous les arbres étendent leurs pontons sur la rive. Nous nous arrêtons quelques heures dans un festival écossais, pour que Nelly puisse se faire expliquer le maniement du mousquet. Nous visitons des petites villes tranquilles, mais pleine de ressources pour nos courses habituelles.
Nous avons tout le temps de bavarder avec les capitaines de port désoeuvrés qui nous racontent leur vie. Les habitants des quelques bateaux canadiens voisins demandent à visiter notre bateau… et ils fournissent la bière. Nous trouvons même à visiter l’entreprise viticole Scheuermann, une “winery” qui a été créée à Westport il y a seulement 7 ans : nous apprenons comment enterrer les pieds de vigne l’hiver pour qu’ils puissent supporter -40°C, et naturellement, nous testons dignement le résultat de tous ces efforts.
Il y a de quoi nous donner envie de revenir l’an prochain, pour traîner encore plus, visiter tout ce que nous laissons passer aujourd’hui, et… vérifier s’il peut faire beau ici au mois de Juin.