Du carré, on entend des crépitements sous les coques, comme un feu de bois dans la cheminée. L’eau qui court entre les coques, avec la marée, depuis le Golfe du Mexique, murmure si fort qu’on dirait les transmissions ininterrompues d’un opérateur radio clandestin.
Un oiseau cogne sur notre babord ? Non, c’est le mousqueton de la «bridle» – l’amarre qui retient la chaîne de l’ancre – qui frappe contre la coque sous l’effet du courant.
Un petit moteur d’avion vrombit doucement au-dessus de nos têtes. Dans la mangrove, un oiseau croasse.
Avec le coucher du soleil arrive l’heure des moustiques et des no see-ums, ces petites mouches noires qui piquent et envahissent le bateau à travers les moustiquaires.
Au loin, on voit bientôt le faible éclat d’un phare et une bouée rouge de chenal. Des milliards d’étoiles éclairent la nuit : nous saluons Orion et les Rois Mages, les Pléïades, Aldébaran, la Grande Ourse, Sirius, l’Etoile Polaire.
Bientôt le vent forcit ; il lutte avec le courant. Le ciel s’assombrit de nuages et la Lune n’est toujours pas levée. Le bateau, hésitant entre vent et courant, risque, en tournant, d’aller s’envaser près de la rive. Il faut bouger et aller s’ancrer plus à l’Ouest, loin de la mangrove et davantage au milieu de la rivière.
C’est la première fois que je suis aux manettes dans la nuit noire, sur le flybridge. Jacques, sur le pont, pilote la remontée de l’ancre et donne les consignes de manœuvre. Il faut à la fois veiller à garder le bateau nez au vent et surveiller les rives. Dans la nuit, aidée de ma seule lampe frontale, j’apprécie mal les distances et notre nouvel ancrage ne nous éloigne pas assez du rivage. Il faut tout recommencer : lever l’ancre, positionner le bateau au milieu de la rivière et jeter l’ancre à nouveau. La carte numérique montre bien nos hésitations.
Deuxième essai réussi mais Jacques observera un quart de nuit avec réveil toutes les trois heures pour surveiller l’évitement du bateau sous l’effet du courant à la bascule de marée puis à la mi-marée.
Je dors paisiblement.